Les Kavanagh de la Longue Pointe

Une vague d'Irlande en Minganie


English


Écrit par : Éric Kavanagh et Charles Kavanagh

D'île en île… Voilà, décrit en quatre mots, le destin des Paspayas qui portent le nom irlandais de Kavanagh. Depuis les rois de l'ancienne Irlande, jusqu'à ce gardien de phare de l'île aux Perroquets, bien des marées et des voiliers ont basculé. Comme le capelan qui roule sur le plain, suivons ce cours de l'histoire… et de la légende.

De l'Irlandais dans les veines

Aussi loin que l'on puisse remonter, le destin des Kavanagh semble intimement lié à celui d'un important personnage de l'histoire irlandaise : Dermot MacMurrough, roi du Leinster. Afin de regagner ses terres du comté de Wexford, desquelles il a été expulsé par le roi O'Rourke de Breffni en 1166, Dermot sollicite l'assistance du roi Henri II d'Angleterre. Ce dernier met à sa disposition des guerriers normands qui proviennent du pays de Galles. Après deux échecs, ceux-ci, conduits par Richard Strongbow, comte de Pembroke, débarquent victorieusement en Irlande, en prenant Waterford et Dublin en 1170. À la mort du roi Dermot, un an plus tard, Richard Strongbow, devenu son gendre, lui succède : quand le chat n'est plus là, les souris dansent. L'Angleterre commence son " invasion " irlandaise… Avec MacMurrough, vient de mourir l'indépendance de l'Irlande ! MacMurrough, ce roi cultivé mais d'une cruauté innommée à la guerre, a laissé son fils illégitime en adoption à un père successeur de saint Kevin (St. Coamhan, en irlandais). Donal MacMurrough est le premier à porter le nom de Coamhanach, qui signifie " héritier ou descendant de saint Kevin ".
Saint Kevin vit en Irlande au cours du VIe siècle. Il fonde le célèbre monastère de Glendalough (" Vallée des deux lacs "), encore aujourd'hui l'un des plus importants lieux de pèlerinage de l'Irlande orientale. St. Coamhan est fêté dans toute l'Irlande.

Passé dans la moulinette phonétique de l'anglais, Coamhanach devient Kavanagh. Le -ach final n'est qu'une postposition (" placé après ", contrairement à la préposition, " placé avant ") qui indique la provenance ; ni plus ni moins qu'un " de " polysémique. Kavanagh fut l'un des patronymes les plus répandus et les plus populaires du Wexford. Roi du Leinster pendant 42 ans, Art MacMurrough Kavanagh (1357 - 1417 ou 1418) s'avère un guerrier sans pareil. Les guerres qu'il mène contre les troupes du roi Richard II d'Angleterre sont d'une telle importance, que ce dernier, affaibli et dérouté, est contraint d'abandonner le trône à Henri IV. Art aurait été empoisonné, aucun guerrier n'ayant osé le défier en combat singulier. Il est enterré à New Ross, comté de Wexford. D'autres Kavanagh se sont aussi illustrés au cours de l'histoire. Morgan Kavanagh, l'un des hommes les plus colossaux d'Europe, devient gouverneur de Prague en 1766. Arthur MacMurrough Kavanagh (1831 - 1889, comté de Carlow) naît avec une atrophie des jambes et des bras. Malgré ce lourd handicap, il fonde une famille nombreuse et s'adonne à la peinture, à l'écriture, à l'équitation et aux voyages. Il est reconnu comme un grand philanthrope et plusieurs récits, livres et romans relatent son histoire.

À Enniscorthy dans le comté de Wexford, se dresse encore aujourd'hui le château des Kavanagh. Preuve incontestée de la présence quasi millénaire du clan Coamhanach/MacMurrough dans le Leinster, ce château commémore le passé d'un des clans d'Irlande les plus prolifiques.

Un peuple affamé

La verdoyante Irlande du milieu du XIXe siècle connaît une famine terrible engendrée, d'une part, par la maladie de la pomme de terre, porteuse du typhus, et, d'autre part, par l'abolition des droits de douane sur le blé. Selon la plupart des économistes, il s'agit de l'événement le plus marquant de l'histoire du libre-échange. L'Irlande de cette époque est le pays d'Europe ayant la plus forte densité démographique avec 8,2 millions d'habitants. Pourtant, elle continue de produire et d'exporter ses produits vers les marchés extérieurs ; la " loi naturelle " de l'offre et de la demande rend ces produits plus rares, donc plus chers et hors d'accès pour la population irlandaise.

Cette situation cause la mort de 1,5 million de personnes et en force 2,5 millions à émigrer ou à s'embarquer pour l'Amérique sur des bateaux-cercueils, à bord desquels plus d'un voyageur sur six périra en mer. Soumis à l'exploitation des bourgeois anglais, les catholiques ne peuvent ni posséder des terres ni avoir des établissements d'enseignement secondaire ni siéger au Parlement. Les bourgeois voient dans la Grande Famine de 1846 - 1849 la solution au problème de surpopulation de leurs terres.

Plus de 500 000 locataires qui n'arrivent pas à payer leur logement sont expulsés entre 1846 et 1849. Londres renforce ses lois afin de favoriser la colonisation d'un pays du Dominion, le Canada. Un extrait de La traversée du Naparima illustre bien ce qui se passe à l'époque :

Dimanche après la messe, l'intendant, debout sur une pierre en face de l'église, nous a annoncé que le propriétaire, dans sa bonté, avait pris en considération notre situation désespérée. Il a lu une lettre adressée à tous ses tenanciers : " Il n'y a pas d'espoir pour vous aussi longtemps que vous resterez en Irlande. La seule façon d'améliorer votre condition est de quitter le pays. On fera remise de la dette à tous ceux qui ont des arrérages de location, le passage pour le Canada sera défrayé et nos agents sur place vous donneront un titre de propriété. "

C'est de Sligo, en 1847, en pleine année Noire, au cours de laquelle 18,5 % de la population irlandaise va périr, que Patrick Kavanagh et sa famille s'embarquent à bord du Carricks pour l'Ontario.

La traversée : enfer sur mer

Le Carricks est un habitué de ce genre des voyages transatlantiques. Il est même soupçonné d'avoir apporté le choléra à Québec en 1832. Plus tard, cette rumeur sera démentie par les autorités de la quarantaine de Grosse Île. L'ancre est relevée le 27 mars et c'est avec 187 passagers entassés dans son entrepont que ce petit voilier de deux mâts, de 87 pieds de long, d'une largeur de 26 pieds et âgé de 35 ans s'en va affronter les rigueurs de l'hiver dans l'Atlantique Nord.

Les conditions de salubrité à bord sont exécrables et les passagers n'ont aucune intimité. Les passagers meurtris par le roulis continu du bateau doivent lutter contre le mal de mer. La moiteur occasionnée par les nombreuses fuites du pont ramolli par le temps, la puanteur due au manque flagrant de ventilation, la promiscuité et les rats qui pullulent dans la cale, qui profitent du moindre moment d'inattention pour voler la trop rare nourriture ou pour la contaminer et ainsi transmettre le germe du terrible choléra, sont autant d'éléments cauchemardesques qu'ont à endurer les passagers.

L'occupation principale des passagers en santé, en plus de prodiguer des soins aux malades, est de se frayer un chemin au travers des corps allongés, pour humer l'air du grand large, et retourner à regret vers l'entrepont pestilentiel une fois transis par le froid. Au cours de la dernière semaine de voyage, le Carricks enveloppe dans son sillage les corps tombés sous la maladie et l'épuisement.

L'aube du 28 avril 1847 se lève. Le décor grandiose du massif de la péninsule de Forillon déchire l'horizon. Un vent de tempête souffle du nord-est. Le Carricks remonte le vent afin de contourner la pointe. De la glace flottante s'ajoute aux éléments déchaînés pour entraver sa marche. La côte se rapproche et la frénésie s'empare des membres d'équipage et des quelques passagers qui peuvent tenir sur le pont lorsque, dans un tumulte d'apocalypse, la coque s'éventre sur le récif acéré de la pointe du cap des Rosiers. Dans le sauve-qui-peut, 87 personnes se noient dans l'eau glacée.

La cloche du Carricks est retrouvée à Blanc-Sablon par M. Alphonse Ruest le 24 septembre 1966.

De naufragé à gardien de phare…

Patrick Kavanagh, Sarah McDonald et leur fils Martin âgé de 12 ans survivent. Cependant, dans cette épouvantable tragédie, le couple irlandais perd cinq enfants, cinq jeunes filles. Notre aïeul décide de refaire sa vie avec sa famille désormais réduite sur les lieux du naufrage : Cap-des-Rosiers. Les autres survivants poursuivent leur route jusqu'à Grosse Île, où la plupart d'entre eux mourront des suites du choléra. Aujourd'hui, à l'entrée du parc national de Forillon, près de Cap-des-Rosiers, un monument commémore l'événement du naufrage.

Un autre extrait de La traversée du Naparima nous raconte le sort réservé aux Irlandais fraîchement débarqués en " terre promise ".

On ne peut songer à clore un tel récit sans une référence, fut-elle brève, aux survivants de la famine, de la peste et des difficultés des voyages. Dans leur recherche de voies et de moyens pour gagner leur vie, ils ne reçurent aucune forme d'aide du gouvernement. En fait dans le Haut-Canada, ils furent complètement rejetés par la population principalement britannique. Ces nouveaux venus étaient irlandais, ils étaient pauvres, on ne voulait pas d'eux. Il était presque impossible d'obtenir une terre arable. Toutes les meilleures terres avaient été données aux Loyalistes ou distribuées par les agents des terres à des gens considérés loyaux à la Couronne. La seule alternative était de défricher, d'arracher à la forêt vierge des parcelles de terre [ce que fit Patrick au Cap] ou encore de travailler d'arrache-pied sur les chemins de fer, dans les mines ou les forêts. Mais ces habitués à affronter de dures épreuves réussirent à assurer leur subsistance et à contribuer largement au développement du Canada. […] On estime entre 30 à 40 millions les descendants des immigrant irlandais en Amérique du Nord […].

Patrick a trois autres fils : Patrick Jr, Dominick et Jimmy. Patrick perd la vie en traversant la baie gelée de Gaspé, le 16 mars 1855, à l'âge de 49 ans alors qu'une tempête de neige lui coupe tout point de repère. Il se rendait à Douglastown pour fêter la Saint-Patrick.

En 1890, Jimmy a un fils du nom d'Albert. Ce dernier unit sa vie à Hilda Gleeton. Cinq enfants viennent au monde : Alma, Walter, Robert, Noëlla et Zoé. Les jeunes Kavanagh ne verront pas leur père très longtemps, car, à l'hiver 1918, Albert meurt à l'âge de 28 ans. Hilda continue tant bien que mal à élever sa famille sur sa petite ferme. Mais la morale et les mœurs de l'époque sont dures (et injustes) pour une jeune femme qui tente de s'en sortir par ses propres moyens. C'est pour cela que Jimmy la force à vendre son précieux bien et, indirectement, à placer ses enfants dans les familles de la parenté.

Déjà à l'âge de 18 ans, Robert est reconnu comme débrouillard et " patenteux ". Le capitaine Coté, responsable du phare de Cap-des-Rosiers, le remarque très rapidement. C'est en 1932 que débute pour Robert l'apprentissage de cette exigeante et rude discipline des veilles nocturnes qu'impose le métier de gardien de phare. Il occupera le poste de façon sporadique jusqu'en 1935, année où il traverse le Saint-Laurent pour occuper le poste d'assistant principal au phare de Pointe-des-Monts. Robert remplira ses fonctions avec brio.

Un fait notable est souligné dans l'ouvrage de Pierre Frenette, Le phare de Pointe-des-Monts, p. 53 : " Le matin du 14 octobre 1944, Kavanagh, installé au sémaphore, échange des signaux d'identification avec les navires d'un gros convoi qui passe au large du phare à destination de l'Angleterre. Avec ses jumelles, il a à peine le temps d'entrevoir un sillage inhabituel qu'une formidable explosion retentit : un navire de guerre, le Magog, lancé deux mois plus tôt, vient d'être sectionné en deux ! "

Le 12 octobre 1948, le M/V Chesterfield mouille l'ancre à proximité de l'île aux Perroquets et y débarque le dernier gardien de phare responsable de cette station qui occupera le poste jusqu'en 1976. Début d'une histoire qui se poursuit toujours…

Épilogue minganien

En 1950, J. Robert Kavanagh lie sa destinée à la jolie Mary Collin de Longue-Pointe. Depuis, cinq enfants et neuf petits-enfants, desquels nous sommes, ont vu se dessiner la barre du jour.

Épilogue nord-américain

Des Kavanagh participent à la guerre d'Indépendance américaine de 1775 à 1882. À la suite du traité d'Indépendance de 1887, plusieurs familles, toujours fidèles à la Couronne britannique, remontent vers la vallée du Saint-Laurent ou vers la péninsule du Niagara : on les appelle les loyalistes. De ce nombre, notons les Cavanagh de la Baie-des-Chaleurs. De 1813 à 1850, plusieurs Irlandais du clan Coamhanach/MacMurrough migrent vers Philadelphie, New York, Boston et Halifax.


Les armoiries des Kavanagh



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